La désertification des campagnes ne touche pas que le monde paysan, elle touche également les métiers de la santé. En cause le vieillissement du corps médical et des départs à la retraite, mais aussi la volonté des jeunes généralistes qui s’installent d’accéder à des conditions matérielles de travail plus avantageuses que celles de leurs aînés. Face à une tendance qui pose problème, acteurs publics et privés réagissent.
Un salaire minimum pour les jeunes médecins
En 2013, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, dévoilait un plan pour lutter contre la désertification et la fracture médicale, reposant sur ses 12 propositions de décembre 2012. Un plan depuis financé à hauteur de 50 millions d’euros, et qui s’appuie notamment sur les agences régionales de santé pour développer les maisons de santé. Si le nombre de médecins semble suffisant en France – on compte 345 médecins pour 100 000 habitants, le seuil minimum étant fixé à 250 – c’est leur répartition dans l’hexagone qui inquiète : 34 départements répertoriés par le Conseil national de l’ordre des médecins seraient ainsi menacés de désertification d’ici 2017.
Une tendance que la ministre a voulu inverser en proposant la création de 200 postes de praticiens territoriaux de médecine générale et en instaurant par décret la création d’un salaire minimum net de 3640 euros par mois et un contrat d’engagement au service public pour inciter les jeunes médecins à s’installer dans les campagnes après leurs études. Le Quotidien du médecin, qui fait état de ces mesures de soutien à une activité libérale, souligne que la répartition régionale des nouveaux emplois se fera dans les départements les plus en souffrance, c’est à dire ceux de Rhône-Alpes, les départements d’outre-mer (DOM), l’Ile-de-France et la région Centre.
Une vision de proximité pour les opticiens
D’autres corporations dans le secteur de la santé tentent elles aussi de lutter contre la désertification médicale du territoire. C’est le cas des métiers de la filière optique dont le rôle est essentiel quand on sait que 60% des Français sont équipés de lunettes ou de lentilles. Les récents débats, sur le coût des équipements, ont eu tendance à masquer celui de l’accès aux soins des patients dans ce domaine.
En 2014, Mathieu Escot, chargé du dossier “santé” pour l’UFC-Que Choisir, expliquait dans L’Obs à propos des délais pour obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologiste : « La France ne manque pas de médecins et ceux qui exercent n’ont pas réduit leurs heures. C’est la répartition des praticiens qui est mauvaise. Dans les grandes villes, ils sont très nombreux. […] En face, 8.500.000 Français (13% de la population) vivent dans un désert ophtalmologique. » Autre point de vue, celui du sénateur socialiste Jean-Luc Fichet qui déjà, en 2011, a voulu attirer l’attention du gouvernement sur la situation des opticiens “de campagne”. Dans une question orale au secrétaire d’Etat chargé du Commerce, il s’inquiétait du fait que dans sa commune, l’opticien ne pouvait bénéficier d’un conventionnement avec de grands groupes d’assurance, ce qui au final pénalisait ses clients. Le sénateur demandait à la ministre de la Santé quelles réponses pourraient être apportées pour que ces commerces de proximité ne disparaissent pas et que les habitants des communes rurales ne soient pas lésés par ces pratiques.
En réponse à toutes ces interrogations, le Comité Filière Optique créé en septembre 2014 a publié un document “Libre blanc Qualité et santé visuelles” qui formule plusieurs propositions pour définir les enjeux sanitaires du secteur et répondre aux besoins des usagers. Yves Guénin, secrétaire général d’Optic 2000 et signataire avec d’autres responsables d’entreprises et d’enseignes Essilor, Alcon, Carl Zeiss, Kriss Group, entre autres – de ce livre blanc, précise « On ne parle pas assez de la santé visuelle, du patient. (…) on défend trop souvent des intérêts corporatistes et on oublie la finalité essentielle ». L’enseigne Optic 2000, première chaine d’optique de France, qui a fait du maillage territorial l’un de ses axes de développement, et son dirigeant Yves Guénin entendent assumer avec l’ensemble des acteurs de l’optique « le rôle de santé publique de la filière ». Note optimiste en la matière : en septembre 2014, le magazine spécialisé L’Opticien lunetier indiquait dans la dernière enquête en date enquête que « 81 % des opticiens indépendants, travaillant en zone rurale et en équipe sont heureux, 36,6 % étant même “très heureux“. »
Les pharmaciens en rase campagne
Moins heureux peut-être sont les pharmaciens, une profession elle aussi confrontée au vieillissement avec plus d’un millier de pharmaciens âgés de plus de 68 ans, et qui n’attire plus autant les jeunes. Le Parisien expliquait que, en 2012, sur « quelques 22000 officines, une centaine de pharmaciens ont mis la clé sous la porte, 103 très exactement. Soit près d’une fermeture tous les trois jours. Les communes les plus touchées sont celles de taille moyenne (plus de 10000 habitants). Difficultés à trouver un repreneur pour les vieux pharmaciens, métier risqué… ». Une situation difficile, tempérée par le constat que les zones rurales résistent, un tiers des pharmacies étant implantées dans des villes de moins de 5000 habitants. Pour Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens : « Il n’y a donc pas de désertification. Il y a des officines sur tout le territoire. C’est important pour répondre aux patients qui viennent se rassurer ou chercher des informations, comme dans le cas récent de l’erreur de conditionnement de médicaments ». « Contrairement aux médecins, les pharmaciens sont présents sur l’ensemble du territoire », confirme de son côté Philippe Becht, Président du directoire du Giphar, « Groupement Indépendant de Pharmaciens indépendants ». La profession s’organise donc, notamment grâce à l’APR, l’Association de pharmacie rurale, dont le rôle est de défendre à travers son réseau la pharmacie française dans les campagnes. En 2013, Albin Dumas, son président, envisageait dans Profession pharmacie diverses solutions comme celles de trouver un équivalent, pour la pharmacie, aux aides à l’installation promises par Marisol Touraine aux jeunes médecins ou d’envisager des honoraires spéciaux pour les officines en position difficile.
Médecins généralistes, opticiens, pharmaciens, chacun de ces métiers a pris conscience qu’il doit développer un service de qualité et de proximité accessible à tous et partout s’il veut reste un maillon essentiel de notre système de santé.
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A propos de l’auteur :
Nicolas Guérin est à la retraite depuis deux ans.
Son dernier emploi ? Représentant pharmaceutique dans le grand Ouest de la France et dans ce qu’on appelle par endroit “la diagonale du vide”.
Il a pu constater à son simple niveau une nette dégradation de la situation dans les seules régions où il démarchait, mais avec des initiatives locales parfois intéressantes, raison qui lui a semblé suffisante pour alerter autant que possible sur ce sujet avec son article.
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